Entretien avec Sophie Taillé-Polian
Par Alice Bosler
Sophie Taillé-Polian est Sénatrice du Val de Marne depuis 3 ans, et également coordinatrice nationale de Génération.s. Elle a été en compagnie d’autres sénateurs et sénatrices écologistes à l’initiative de la création du Groupe Ecologiste - Solidarité et Territoires au Sénat rassemblant les parlementaires issus d’Europe Ecologie les Verts et de la sphère écologiste. Elle lutte, dans un milieu particulièrement de droite et réactionnaire, pour les idées de la gauche et de l’écologie pour faire avancer les débats.

Résilience Commune : Vous avez créé récemment au Sénat un groupe écologiste. Quel sens a la création d’un tel groupe selon vous ?
Sophie Taillé-Polian : Jusqu’à présent au à gauche au Sénat il n’y avait qu’un groupe Socialiste et un groupe Communiste. Il y avait plusieurs personnes qui portaient les valeurs de l’écologie dispersées dans ces groupes sans pour autant avoir le nombre suffisant pour en constituer un. Au cours du mandat nous avons échangé et nous nous sommes dit qu’il serait intéressant que cette voix écologiste soit plus structurée et porte plus au sein de l’hémicycle. A la faveur du renouvellement, de nouveaux.elles sénateur.rice.s écologistes ont été élu.e.s ce qui nous a donc donné la taille critique pour créer ce groupe.
Créer ce groupe ne veut pas dire diviser mais ajouter une voix supplémentaire dans l’orchestre de gauche, une voix qui ne soit pas discordante mais qui rajoute notre vision.
Créer ce groupe ne veut pas dire diviser mais ajouter une voix supplémentaire dans l’orchestre de gauche, une voix qui ne soit pas discordante mais qui rajoute notre vision. Nous sommes avec la gauche dans la minorité du Sénat mais nous portons un peu plus haut les questions environnementales. Cependant nous portons tout autant les questions de justices sociales que le groupe socialiste ou le groupe communiste. C’est pourquoi les présidents des trois groupes se réunissent régulièrement pour faire en sorte que du travail en commun puisse être réalisé.
RC : La période actuelle est marquée par une montée de la violence, qu’elle soit policière ou sociale. Globalement on sent une montée de l’autoritarisme assez importante, comment analyses-tu ce phénomène et aurais-tu des pistes pour y répondre ?
STP : Je crois qu’il faudrait profondément renouveler la démocratie et aller au bout du projet de Jaurès, c’est-à-dire la République sociale. Le monde d’aujourd’hui, avec le libéralisme économique et le libre échangisme poussés à outrance tend vers une société plus inégalitaire et forcément il en découle un niveau de violence et de radicalité de plus en plus important. Notre projet de société doit être un monde apaisé où chacun-e doit trouver sa place, et cela signifie aussi pour l’Homme de trouver sa place dans la nature. La rupture avec le néolibéralisme est donc absolument essentielle.
La rupture avec le néo-libéralisme est donc absolument essentielle.
Il faut que nous soyons dans la radicalité des propositions mais aussi dans la crédibilité des solutions. La démocratie est abîmée aussi parce que le débat est constamment agité : il faut que nous tenions un discours de raison. Nous avons la Raison et la Science avec nous, aucun scientifique ne remet en cause le dérèglement climatique et la hausse des températures. De la même manière, personne n’ose remettre en cause les analyses d’économistes comme Thomas Piketty ou Gabriel Zucman sur l’explosion mondiale des inégalités. Maintenant il faut apporter des solutions à ces problèmes clairement identifiés et que personne ne peut nier.
Après il est vrai que nos sociétés se sont fondées dans un moment d’après-guerre et nous avons longtemps cru à la démocratie libérale. Ces 50, 60, 70 dernières années, nous pensions que la démocratie et le libéralisme économique allaient de pair. Aujourd’hui nous voyons que ce n’est pas le cas car le libéralisme poussé à outrance jette les gens les uns contre les autres.
RC : Les violences sociales finalement…
STP : Bien sûr, les violences sociales, les inégalités, poussent à la radicalité car la violence que l’on subit lorsque l’on est injustement traité-e ou discriminé-e est terrible. Donc la sécurité sociale, la sécurité en général, doit trouver une sortie grâce à une démocratie renouvelée. La démocratie libérale n’a pas tenu ses promesses, il faut donc refonder la république sur des bases de justice sociale et de délibération citoyenne plus forte.
RC : Récemment un collectif jeunes « RSA-25ans » s’est monté avec comme objectif d’ouverture du RSA aux moins de 25 ans. Qu’en penses-tu et plus globalement quelles propositions ferais-tu en termes d’horizon émancipateur pour la jeunesse ?
STP: Je suis horrifiée par ce que l’on offre à la jeunesse aujourd’hui. On lui offre de la précarité, de la sélection à tous les niveaux avec l’individualisation qui met tout le monde en compétition. C’est le cas évidemment avec Parcoursup mais également plus tôt avec la façon qu’a l’éducation nationale de noter dès la 6ème pour pousser à la comparaison avec les autres. Globalement la situation est celle-ci : l’individualisation forcenée et la mise en compétition entre tous et toutes. Il y a également la discrimination que peuvent subir les jeunes en fonction de leur origine sociale, de l’origine de leur famille (si elle est issue de l’immigration) ou encore de leur sexe (pour les petites filles par exemple).
Le modèle actuel du monde du travail qui est la précarisation
Le modèle actuel du monde du travail qui est la précarisation touche en premier les jeunes avec des carrières de précarité qui commencent et ne finissent jamais ou alors dont la durée s’allonge. Notre proposition par rapport à cette situation touche les jeunes mais également tout le monde : c’est le Revenue Universel d’Existence (RUE). Le RUE pour permettre à chaque individu dans cette société de pouvoir construire son projet. Nous ne croyons pas que les gens dans la société soient tous des égoïstes, nous pensons que l’individu se réalise pleinement quand il apporte une pierre à la société. Ce projet est particulièrement important pour la jeunesse car il permet de faire, ou de poursuivre des études et de pouvoir construire son projet de vie.
La proposition du RSA jeunes (-25 ans) est évidemment une mesure d’urgence dans la situation actuelle. Parce que les jeunes qui sortent des études vont se confronter à un marché du travail dévasté donc les situations d’urgence sociale vont se multiplier. C’est une mesure de bon sens mais il y en a d’autres comme l’élargissement des critères pour les bourses d’études, leur augmentation et la construction de logements étudiants etc... Beaucoup de choses doivent être faites pour que la jeunesse ne soit pas la première victime de la crise. Les jeunes ne sont pas les premières victimes de la maladie mais ils/elles risquent d’être les premières de cette crise.
RC : Une dernière question, Résilience Commune est un collectif d’organisations de jeunesses qui s’est fondé sur l’urgence de construire quelque chose de commun pour sortir de la fatalité dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Selon toi quelle est la responsabilité de la gauche et des écologistes pour 2022 et comment peut-on arriver à sortir du cercle vicieux dans lequel on est actuellement ?
STP : Je pense déjà que la gauche et l’écologie ont besoin d’élaborer des programmes qui soient crédibles et construits. Il faut veiller à la compatibilité. Je crois que ce n’est plus avec le mot « gauche » et ce n’est pas encore avec le mot « écologie » que l’on arrive à avoir 51% des votes à la présidentielle ou même 25% pour passer le premier tour. Cela veut dire qu’il faut ré-enchanter, réinventer, notre proposition fondamentalement.
Si nous restons dans l’incantatoire, ce sont les divergences qui prendront le pas
On ne peut pas arriver avec 3 idées et dire qu’on s’est rassemblés. Il ne faut pas hésiter à construire des choses solides, fortes et compatibles avec ce que font les autres. Si Jean-Luc Mélenchon est aujourd’hui candidat il faut que les autres qui construisent des programmes regardent ce qui est compatible et le mettent en avant. Il faut aussi regarder ce qui n’est pas compatible et ouvrir les discussions de fond. Je viens de parler par exemple du RUE (Revenu Universel d’Existence), c’est un sujet qui clive à gauche et il y a d’autres propositions qui sont sur la table comme la garantie à l’emploi. Il faut que l’on en discute, et pas par médias interposés en s’invectivant à base de « vous ne croyez pas au travail » ou encore « vous ne voulez pas de l’émancipation ». Ces projets ne sont pas réalisables en 3 mois ou en 5 ans, donc il y a certainement des choses à construire qui sont sur nos socles communs et au-delà de nos divergences. Il ne faut pas s’impuissanter dans l’incantation d’une unité qui ne viendrait pas mais il faut que chaque sphère de la gauche puisse travailler, identifier les sujets d’accord, de désaccord et travailler à la convergence. Si nous restons dans l’incantatoire, ce sont les divergences qui prendront le pas.